Ethique animale : réformisme VS abolitionnisme

Auteur : Charb pour Charlie Hebdo

Ce qui se passe dans les abattoirs, loin du regard des consommateurs, se trouve propulsé hors de notre conscience et donc de notre morale : le déni fait loi. Plusieurs séismes sont pourtant venus ébranler la conscience des consommateurs de chair animale en 2015 et 2016, suite aux diffusions d'images par l'association L214 (vidéos prises en caméra cachée dans les abattoirs Français : 
abattoir de Mauléon-Licharre dans les Pyrénées-Atlantiquesabattoir du Vigan dans le Gard, abattoir d'Alès dans le Gard ). Difficile de savoir comment se positionner après la vision de telles images (à l'instar du film Terriens de Shaun Monson), mais qui reflètent la réalité de notre société de consommation : l'animal est devenu un moyen de production, son corps une denrée alimentaire en devenir moyennant abattage et transformation(s). Le constat est simple : la considération envers les animaux passe après toutes les autres (argent, rentabilité, tradition culinaire, ...). Face à cette réalité, il est légitime de se poser des questions : est-ce moral de faire souffrir les animaux ? Est-ce moral de les manger ? Où sont les limites ? Les réformistes et les abolitionnistes tentent d'y répondre et aboutissent à des positions très différentes : c'est ce que nous allons voir dans cet article.

Les théories morales

Martin Gibert, dans son livre "Voir son steak comme un animal mort" (qui est un pléonasme, mais bizarrement non perçu comme tel par 90% des personnes de mon entourage...), évoque les différentes théories morales qui répondent à la problématique de l'éthique animale : "Est-ce moralement légitime de faire souffrir / consommer des animaux ?". Quelle que soit la théorie morale appliquée à l'éthique animale, toutes arrivent à la conclusion qui fait consensus : nous avons le devoir moral de ne pas faire souffrir inutilement des êtres sentients.


Les différents points de vue

Les réflexions qui tentent de répondre aux questions de l'éthique animale diffèrent selon le point de vue adopté : la réflexion à-t-elle comme point de vue la personne - l'acte de la personne ou les conséquences de l'acte ?

  • l'éthique de la vertu : l'action est acceptable si l'individu lui fait porter une vertu. Ici, on s'intéresse à l'agent, c'est-à-dire à la personne qui agit. L'agent embrasse une vertu et, dans cette optique, doit donc agir de façon à satisfaire cette vertu. Quels devraient être les actes d'une personne "vertueuse" ? et quelle vertu est à prendre en considération dans le domaine de l'éthique animale ? En toute connaissance de cause, une personne consommant de la chair animale peut-elle être vertueuse ?
  • le déontologisme : l'action est acceptable si elle respecte une norme préalablement établie. Ici, on s'intéresse à l'action en elle-même : celle-ci n'est acceptable que si elle est en adéquation avec le cadre normatif considéré. Il faut au préalable établir ce cadre normatif : quels sont les droits que nous attribuons aux animaux et quels sont nos devoirs moraux en découlant ? Si on considère les animaux comme étant des sujets ayant des droits (ex: droit de vivre sa vie pour soi et non pas comme "moyen de"), alors nous avons des devoirs envers eux : bien les traiter, ne pas les tuer, etc. C'est le cas de l'abolitionnisme qui considère qu'un animal à des intérêts propres, comme l'être humain, à vivre et à ne pas souffrir et que ces intérêts devraient être mués en droits fondamentaux. Au contraire, si on considère les animaux comme des sujets sans droit, on peut en disposer à notre convenance et donc les tuer pour les manger. Ici, les actions sont acceptables en rapport avec les devoirs moraux que nous avons envers les animaux et qui correspondent aux droits que nous leur allouons, découlant eux-même des intérêts des animaux : ils ont un intérêt à ne pas souffrir ->  ils ont un droit à ne pas souffrir ->  on a un devoir de ne pas les faire souffrir / ils ont un intérêt à vivre -> ils ont le droit à vivre -> on a un devoir de ne pas les tuer...
  • le conséquentialisme : l'action est acceptable si ses conséquences sont acceptables. Ici, on s'intéresse aux conséquences de l'action et non pas l'action en elle-même ni à l'individu qui fait l'action. Comment doit-être l'action pour que sa (ou ses) conséquence soit bonne ? Et qu'est-ce qu'une bonne conséquence : celle qui maximise le plaisir et le bien-être (conséquentialisme hédoniste) ? celle qui est la plus utile (utilitarisme) ? celle qui diminue la souffrance ? Est-ce une bonne chose de tuer des êtres sentients pour notre plaisir gustatif (anthropocentrisme) ou non (pathocentrisme) ? Et doit-on regarder la conséquence de chacun de nos actes = conséquentialisme de l'acte ? ou de nos actes en général = conséquentialisme de la règle ?

Face à ces différents cheminements pour répondre aux questions de l'éthique animale, les défenseurs des animaux relèvent de 2 principaux mouvements : le réformisme et l'abolitionnisme. C'est 2 prises de position peuvent paraître contraire (dans un cas on cautionne la mise à mort d'un animal pour utiliser son corps et dans l'autre non), mais émanent du même souhait de voir la condition animale s'améliorer. Leurs conclusions différentes proviennent de points de vue différents, base de leurs réflexions :

  • déontologisme : les devoirs envers les animaux correspondent aux droits que nous leur donnons. Les animaux sont-ils des sujets de droits ou sont-ils des "moyens de" ? Si les animaux sont des sujets de droits : quels sont leurs droits et quels sont nos obligations morales en découlant ?
  • conséquentialisme : quelles considérations morales donnent-on aux conséquences de la consommation de viande ? Est-ce une considération anthropocentrique ou pathocentriste ou écocentriste ?


Le réformisme : le droit à ne pas souffrir et la conséquence non douloureuse

Les réformistes (= welfaristes) souhaitent voir s'améliorer la condition animale, de la naissance à la mise à mort des animaux. Il n'est pas question ici de remettre en cause la consommation de chair animale ni des produits issus des animaux (lait, oeufs, cuir, plume et duvet, etc.) car il n'est pas immoral de précipiter la mort d'un animal pour nos fins. Ainsi, un réformiste choisira une viande biologique ou labellisé et souhaitera une meilleure réglementation de l'élevage, du transport, de l'abattage des animaux pour être en adéquation avec ce "droit à ne pas souffrir" ou "conséquence maximisant le bien-être".

Certains réformistes pensent que l'amélioration des conditions d'élevage, pour qu'elles deviennent plus "humaines", est un premier pas vers l'abolition de l'exploitation animale. D'autres, au contraire, ne souhaitent pas in fine l'abolition de l'exploitation animale, jugeant que cette dernière peut être moralement acceptable car ils ne la considèrent pas comme mauvaise en soi.


Point de vue déontologique :

Ici, l'animal est considéré comme un moyen de production et cela n'est pas immoral si on respecte son intérêt (et donc son droit) à ne pas souffrir. De ce point de vue, l'animal n'a pas un intérêt propre à vivre : on peut donc l'utiliser à nos fins, mais en garantissant son bien-être, d'où la nécessité de réformer les industries de l'élevage, du transport et de l'abattage ...


Point de vue conséquentialiste :

Ici, produire et manger de la viande n'est pas condamnable moralement si, en terme de conséquence, il n'y a pas de souffrance animale en découlant. La recherche de la diminution de la souffrance ne se base pas ici sur le droit des animaux à ne pas souffrir, mais sur la conséquence de l'action qui doit maximiser le bien-être et diminuer la souffrance animale.

L'animal, comme moyen de production, a un intérêt à ne pas souffrir
Auteur : Charb pour Charlie Hebdo


L'abolitionnisme : un intérêt propre à vivre

Pour les abolitionnistes, les animaux sont des sujets de droit avec des intérêts propres à vivre. Il en découle des droits fondamentaux : nous ne pouvons pas les asservir à nos propres fins (que ce soit pour l'amusement avec les zoos ou les cirques animaliers, l'alimentation avec les animaux de boucherie, etc.). 

"[...] chacun d'entre nous est le sujet d'une vie dont nous faisons l'expérience, une créature consciente possédant un bien-être individuel qui nous importe indépendamment de notre utilité pour autrui." [Source : Tom Regan "Pour les droits des animaux"]

Les abolitionnistes souhaitent ainsi l'arrêt de toutes formes d'exploitation animale : pour se vêtir, se divertir, se nourrir, etc. Que les animaux vivent bien ou pas / souffrent ou ne souffrent pas, ici ce n'est pas la question : il n'est pas moralement acceptable de les tuer car cela enfreint leur droit fondamental à vivre. En d'autres termes, ils estiment que les humains ont le devoir moral de laisser les animaux vivre leur vie en tant que "sujet de leur vie". Dans cette optique, il ne peut exister de "viande heureuse".

En tant que sujet de sa vie, l'animal à un intérêt à vivre
Auteur : Charb pour Charlie Hebdo

Les différences entre abolitionnisme et réformisme

Voilà un petit tableau, non exhaustif, des différences entre ces 2 positions :

éthique animale : l'animale comme moyen de production ou comme sujet de droit

Source et ressources


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